ALEXANDRE PAJON, historien, éditeur,
ancien attaché culturel.
La culture “identité
invisible” de l’Europe... quelles perspectives ?
Pour ses adversaires, l’Europe n’aurait pas d’identité
et il n’y aurait d’identité que nationale. Dès
lors défendre l’idée que la culture constitue
l’identité de l’Europe revient à montrer
ce qui est ignoré, refoulé, à savoir le caractère
transnational des échanges et de la création culturelles
dans l’espace européen depuis l’antiquité
gréco-romaine. Les nations sont apparues alors que l’Europe
de la culture existait déjà et se sont constituées
sur des genèses inventées, sur une vision étriquée
de leur histoire. Les adversaires de l’Europe ne veulent rien
entendre de cela.
La première étape est de défendre qu’il
n’y a pas davantage de « culture » autochtone
pure de toute influence venue d’au-delà de frontières
toutes récentes qu’il n’y a de populations pures
de tout métissage. C’est le travail de l’éducation
à l’histoire culturelle de l’Europe, sans lui
rien n’est possible. Le chantier est immense du fait que cela
relève des États voire des régions (cf. entre
autres les politiques éducatives catalane, hongroise, polonaise
en la matière). Le terrain est cependant déjà
préparé car toutes les populations européennes
sont confrontées à une offre de consommation culturelle
globalisée ; certes elle coexiste souvent avec un grand conformisme
et laisse la place paradoxalement à des élans ultranationalistes.
Mais les frontières culturelles revendiquées par les
« nationalistes » ont été de facto abolies
par la consommation de masse.
La deuxième étape c’est donc de faire vivre,
de donner à voir et à entendre cette création
culturelle européenne sur tous les supports traditionnels
de diffusion. Les traductions de livres, les festivals européens,
les expositions, comme leur promotion par les télévisions
sont essentiels.
La troisième étape c’est l’appui à
la mobilité des artistes et à la multiplication des
rencontres entre les créateurs européens avec le souci
de le faire savoir aux populations qui les accueillent. Il faut
être inventifs pour donner à voir et communiquer sur
cette irrigation permanente de l’Europe par les échanges
artistiques.
Un double défi donc. Il faut opposer à une conception
rabougrie des « cultures populaires » nationales, dignes
des folkloristes d’il y a cent cinquante ans, une culture
vivante, polymorphe et attrayante qui sorte dans le même temps
des productions standardisées passées au moule du
marketing.
Alexandre PAJON
27 février 2019
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