PHILIPPE SCHOELLER, COMPOSITEUR
La culture “identité
invisible” de l’Europe... quelles perspectives ?
Aujourd’hui, en cette année 2019, Nombre de paroles,
textes, discours, auxquels la médiation technologique à
échelle planétaire donne accès, disent deux
choses, comme deux visions.
Dès lors que l’on se penche sur une forme de désir
d’anticiper ou de désirer deviner le cours du monde,
oui, il se signe deux tendances dont j’aimerais analyser,
brièvement, à la fois le coeur de son mouvement ,
comme le sens de sa limite à chacun.
Ici une forme singulière de la fin d’un monde: les
théories de “l’effondrement”.
Là, une vision que j’appelerai, “ l’archaïsme
pacifique du moderne”.
Il ne s’agit pas seulement de l’expression profonde
de toute nature humaine, toujours oscillante entre une forme de
statisme du mouvement et une forme exhultante , telle une planète
de vie gouvernée par deux saisons, jeunesse puis vieillesse,
en cycles continus de générations en générations,
non. Il sagit davantage d’un évènement tout
à fait singulier dans l’histoire des hommes. Celle
du changement d’échelle à un double niveau,
dans la conscience de lui-même, comme dans la prise de conscience
de sa communauté.
En à peine deux siècles Nous sommes passés
d’un monde où les centres, les frontières, les
cadres, les codes et les règles du vivre ensemble étaient
largement et principalement définis par des limites d’espace
ou des lignes de temps précises, cadastrées par la
relative lenteur, la patience de les franchir: voyager, accéder
à la connaissance, confronter les cultures diverses, à
un autre monde.
D’un monde de lattitudes précises et différenciées
nous sommes passés à un monde de lattitudes flottantes,
labiles, dynamiques, mouvantes, instantanées. L’industrie
globale développée principalement sous quelque lattitude
minoritaire a peu à peu tout trans fromé de notre
rapport à l’espace, au temps, à l’accès
de l’information, de la perception, de la sensation même
de notre corps comme celui de notre prochain, de l’accès
à la sensibilité sans même toucher autre chose
qu’un écran composé de terre rare extraite à
dix mille lieux de là.
Le réel a littéralement explosé en une question;
celle du réel même, naturellement, mais surtout celle
du goût de cette réalité. La sensation de vivre,
percevoir, aimer, respirer, se déplacer, écouter,
regarder ou entendre : quelle est elle, aujourdhui, ici et maintenant?
Le monde des écrans, des images, des signes, des vitesses
lumières d’accès à toutes les richesses
patiemment constuites durant auparavant des millénaires:
où est le réel? Cette mutation, dans la concrétude
de nos corps , comme dans le foyer de notre âme, de notre
sensibilité, de nos gouts, de nos sentiments, de nos pensées,
est un pas sans précédent dans l’histoire des
hommes.
Pourtant, peu à peu, se dessine une ligne collective, universelle,
soit extrême, soit plus nuancée et mouvante qui dit
non pas la catastrophe de ce pli dans l’histoire, mais bien
une équation simple, car tout simplement vitale, une forme
d’essentielle salvation face aux nombreux périls engendrés
par la “variation d’échelle”, inouïe,
dans la distribution inouïe des forces de vies et des forces
de destruction de la vie. Deux seuls exemples; 26 “fortunes”,
les plus compactes et chiffrables, quelques centaines d’hommes,
détiennent plus de 80% des richesses matérielles de
7 milliards et demi d’humains.
Le budget pour les armes est 1000 fois celui pour la culture: planète
errante dans la nuit sans fin.
Mais voici le trésor: l’invisible. La culture. Cela
dont un homme ne peut se passer dans une vie digne de ce nom. Survivre
est à ce prix: s’engager dans l’invisible face
à la destruction du visible.
Car l’esprit de la culture n’a aucun prix. Il ne vaut
rien , donc il est tout. Il est lien invisible au monde. Il est
le sacre permanent de la vie.
Loin des dogmes, des religions, des prosélytismes, la culture
est verticale: nouvel axe pour les hommes.
Voilà: cette ligne, actuellement minoritaire, ce vivre ensemble
planétaire implique ces quelques lois-sources, sans lesquelles
la vie sur terre sera terminée.
Telle une charte de l’invisible, voici ces lois:
- Transmission de la mémoire par l’alliance et l’enseignement
des histoires de l’homme: toujours devoir de mémoire
s’enrichit d’un “devoir d’amnésie”,
au sens de la mutation de cette mémoire.
- Altérité, lien, ouverture des différences
propres au principe universel de la Nature dans l’infinie
variétés de ses formes., par conséquent respect
d’autrui,bienveillance envers tout être qui participe
à la chaine continue du vivant.
- Compréhension des équilibres comme des ruptures
qui ont toujours forgées les nombreuses civilisations que
l’homme a traversé.
La mémoire est infinie, oui, mais ses lois pour qu’elle
advienne dans l’engendrement des formes de vie, elle, est
tout sauf un hasard.
- La complexité d’organisation et de régulation
de l’univers du vivant sera toujours innaccessible à
l’homme. C’est en cela qu’elle implique sa préservation,
son respect le plus simple, le plus essentiel.
L’Esprit Européen, c’est cela. Une richesse inouïe
de mémoires, de mutations, de variations , de crises comme
de zéniths. Il suffit de voyager un tant soit peu en Europe
pour voir cela.
C’est cette richesse qui est un trésor pour dialoguer
avec les richesses d’autres cultures aussi anciennes, sinon
plus, d’ailleurs, que la nôtre.
L’avenir de cet Art que l’on nomme Musique, comme l’avenir
de ceux qui le poursuive dans leur action - au quotidien - sera
fertile sous ces seules conditions: connaissance de ses racines,
comme désir de poursuivre le feu solaire des fruits que ces
racines ont offertes à l’arbre de la communauté
planétaire.
Une civilisation planétaire est notre seul salut.
L’art de la Musique porte en son coeur ce principe vertical
qui nous relie à cette chose pour chaque homme, quelque soit
son nom, sa couleur de peau, sa mémoire, sa langue ou ses
moeurs, un lieu identique, sans ombre, un principe “astre
soleil”: la musique vivante, partagée dans une salle,
tous les coeurs battants et les poumons respirant le même
air, réel, non virtualisé par un écran, cette
activité de la culture , composer, transmettre, partager,
créer et écouter de la musique n’a pas besoin
de sous-titres.
Cela est “l’identité visible” de cet art
de l’invisible,
la musique Vivante, composée, jouée, partager pour
des corps vivants , sensibles et pensants. Voyageants ensembles
dans l’ici et le maintenant de notre condition planétaire.
Philippe Schoeller, Paris, le 22 février 2019
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